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Carnet de campagne de Cochinchine de Jean François Lacour (Carnet 1)

Expédition de l’Indo-Chine 1857 - 1858 - 1859

dimanche 12 avril 2009

J.F. Lacour Campagne de Cochin-chine 1er carnet qui relate son long périple en bateau pour rejoindre Saigon

Expédition de l’Indo-Chine 1857 – 1858 – 1859

Nous partons de Toulon le 28 Décembre 1857 sur le transport mixte la Gironde. Le navire est encombré outre mesure est les 720 soldats et marins qu’il porte ont à peine l’espace nécessaire à 100 hommes pour se loger. Le pont est couvert de colis de toute nature et nous nous demandons avec inquiétude ce que vont devenir nos malheureux soldats dans cet immonde fouillis.

Les officiers passagers sont moins mal relativement quoique relégués dans un carré sans air et sans lumière. Les 15 plus anciens sont logés par groupes de 5 dans des cabines à 5 couchettes éclairées par un hublot qui ne s’ouvre jamais. Je me trouve comme je le désirais associé aux deux officiers du Génie, à un chirurgien de [ ] et un [ ] de commissaire. Ces deux derniers nous gênent peu. [ ], ils se couchent tard et se lèvent de bonne heur et nous pouvons, en ayant soin de nous lever ou de nous coucher successivement, réussir à tirer nos culottes et à nous fourrer sans trop de gêne dans les couchettes peu rembourrées dont nous gratifie la patrie peu généreuse.

Nos réclamations, le rapport de la commission d’armement qui a visité la Gironde avant le départ, ne peuvent rien contre la volonté d’un préfet maritime, qui juge à ce qu’on dit, que les hommes sont la dernière chose dont on doive s’occuper à bord. Merci de cette parole bien digne d’un homme accoutumé à occuper sur un vaisseau trois fois plus d’espace qu’on n’en a laissé pour nos 600 soldats. Que ne sont-ils des forçats, on s’occuperait avec une sollicitude toute paternelle, de supporter l’espace qui leur est nécessaire pour reposer leurs vertueuses carcasses ; on assurerait à leurs nobles poitrines la quantité d’air dont elles ont besoin. Mais s’occuper de 600 troupiers, presque tous ayant sollicité la faveur de faire la campagne : ce serait vraiment trop commun et peu digne de la haute sollicitude du chef de nôtre premier port de guerre. Nous partons donc le 28 à 10 heures du matin, favorisés par un temps magnifique qui nous fait passer le détroit de Gibraltar dans la nuit du 3 au 4 janvier.

Les plus curieux, et j’étais du nombre, sont restés sur le pont afin de voir la forteresse. Le clair de lune nous permet de distinguer le profil du rocher et l’emplacement de la ville, on reconnaît vaguement Algésiras, Tarifa et sur la rive africaine Ceuta ; mais il est impossible de saisir les détroits et à 2 heures 1/2 du matin nous rejoignons nos triste couchettes ; un peu désappointés du médiocre résultat de notre veille.

Nous avions aperçu de fort loin Majorque le 30 [ ] et la côte d’Espagne le 31. La brise continue à nous être favorable et nos malheureux troupiers commencent à s’installer un peu. Chaque jour on mange et le vide se fait dans le faux pont. Dans un mois, quand ils auront rongé leurs trous, comme le rat dans un fromage, ils seront non pas convenablement mais au moins un peu mieux qu’au départ et ils pourront exister.

Dans la nuit du 5 au 6, grande brise de N.O. La mer se fait grosse et embarque fréquemment. Comme on n’a pas eu de mer depuis le départ, bien des estomacs sont faibles et je fais à Neptune offrande de mon déjeuner. Le 6, le temps se remet, les vents passent au N.E et les vents alizés semblent venir au devant de nous. En effet ils nous suivent. Le 7, beau temps. Le 8, nous sommes à hauteur de Tenerife et le pic [ ] à diverses reprises nous laisse voir sa cime neigeuses. Le 9 et le 10, les vents continuent à nous pousser rondement. Nous atteignons 12 [ ]. Il semble que le Geri éternel ait pris à cœur de nous faire oublier l’incurie et l’inhumanité qui ont présidé à notre embarquement.

Notre commandant, peu flatté sans doute de commander un humble transport, fait tous les efforts pour déguiser sa barque en navire de guerre. Du matin au soir, exercices du canon et de la carabine, appels aux postes de combats et branle-bas en tous genres. En raison de nos hautes positions sociales, le cap.ne du génie et moi, n’avons rien à [ ] à toute cette parade militaire et nous sommes loin de nous en plaindre. Espérons que cela durera et que le voyage s’achèvera avant qu’on se doute qu’à bord nous pourrions peut-être être bons à quelque chose. Le voyage continue [ ] alternatives de calmes et de faibles brises. On songe alors que le navire est muni d’un appareil à hélice et on allume les feux.


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