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Carnet de campagne de Cochinchine de Jean François Lacour 1859 (Carnet 2)

Expédition de l’Indochine 1859

mardi 19 janvier 2010

EXTRAIT

Expédition de Saigon

Les forts avaient été reconnus le 9 au soir. Le 10 février au matin les navires prirent leurs postes de combat et je m’embarquai dans les canots tambours de la Saône portant 12 obusiers rayés. J’allais me placer près de terre à droite du fort de la plage et commencée à battre d’enfilade le fort attaqué de front par les corvettes et les canonnières. L’ennemi répondait à peine. Après ½ heure de feu, le débarquement s’opéra sans difficultés ; ces forts furent occupés et incendiés. Au moment du rembarquement des troupes, une caisse de poudre laissée au bord de la mer pris feu, malheureusement au moment où un peloton d’infanterie passée à la hauteur et brûla, plus ou moins grièvement une dizaine d’hommes.

Le lendemain on entra dans la rivière et on canonna au passage les forts de gangio et de gaqueray. Le 11 au soir la Dragonne reconnue sur la rive droite du fleuve, un fort défendant un barrage, formé de fortes pièces de bois reliées entre elles par des chaînes. Deux embarcations du Plégéthon allèrent de nuit couper le barrage. Le fort attaqué le 12 au matin fut occupée puis livré aux flammes.

Le 13 ans reconnus près du coude de l’embouchure de Soirayo un double barrage protégé par quatre forts (deux sur chaque rive) le soir même deux embarcations soutenues par les deux canots tambours de l’artillerie, placé sous mon commandement, allèrent couper les barrages formés par de grandes de jonques, des pièces de bois et des radeaux remplis de matières combustibles. Le 14 les deux forts de la rive gauche et le premier de la rive droite furent attaqués, enlevés et détruits. Le 15 au matin le quatrième placé et au coude de la rivière de Soirayo eut le même sort.

La dragonne reconnue le même jour les deux grands forts placés en aval de la ville. Le reste du jour et une partie de la nuit, furent employés à installer aux sabords de chair de l’alarme nos 2 obusiers rayés, tandis que le gaillard d’avant solidement épontillé, recevait deux canons de 30 n° 2 d’avalanche disposait également sur son gaillard un canon de 30 n° 2.

Le 16 au matin les 2 corvettes et les 3 canonnières, marchant de front, canonnèrent les deux forts et après une heure d’un tir remarquable de précision, les forts cessèrent de répondre, et l’ennemi commença à les abandonner. L’ouvrage de la rive gauche fut incendié et démoli, celui de la rive droite sue conservait pour être armé et occupé par le poste France — Espagnol qui restera à Saigon à notre départ.

Ces deux forts étaient les restes de ceux construits en 1791 sous la direction du colonel français Olivier. Après déjeuner, pendant que les troupes fatiguées se reposaient je fus envoyé avec un capitaine de frégate et le commandant du génie, arrivé d’Europe depuis 2 jours, pour reconnaître la place de Saigon sur laquelle on n’avait que des renseignements vagues et confus. Arrivés à l’endroit où les cartes placent et la ville, nous la cherchions vainement et n’apercevions qu’un mat de pavillon. Je dépassant un rideau de graves arbres sur la rive droite du fleuve, quand un coup de canon, vint suivie bientôt de deux autres, nous montrer l’emplacement de la citadelle.

De la hune de la canonnière nous pûmes reconnaître deux portes et un bastion et en déduire avec une approximation insuffisante l’étendue et l’emplacement du fort. La canonnière tira quelques coups de canon en réponse à ceux que le fort nous envoyait et la Dragonne qui avait l’ordre de venir à notre secours, dans le cas où nous serions sérieusement engagés, commença le feu de son côté et se rapprocha de nous. Par suite de quelques accidents de manœuvre dont je n’ai pu bien me rendre compte, elle aborda l’avalanche et lui enfonça le bastingage de la hanche de tribord, juste au moment où j’étais dans les haubans descendant de la hune. Le choc augmenté par mon inexpérience du service de gabier, me fit dégringoler et je tombais heureusement sur le filet qui couvrait la dunette en arrière, du grand mât, sur lequel se brisait au même instant le beaupré de la Dragonne.

J’en fus quitte pour une émotion peu agréable, qui se dissipa bientôt grâce à l’action bienfaisante d’un excellent vin de Vouvray, que nous offrit le commandant. Nous rejoignîmes alors la division et les ordres furent donnés pour l’attaque du lendemain. Au point du jour les bâtiments appareillent et viennent se placer devant la ville, tenant à peu près le milieu de la rivière. L’alarme l’Avalanche, le Grimourguet, le Phlégeton, la Dragonne, enfin le Grigent, l’el Cano et les bâtiments portant des troupes.

Le feu commence à sept heures du matin, dirigé par les commandants montait dans les hunes. Après une heure de feu, le fort continuait à tirer sur les navires mais ne leur faisait que peu de mal, on cessa le feu pour opérer le débarquement. L’avant-garde conduite par le commandant Despallières s’avança au pas de course dans l’avenue qui menait du quai à la porte principale, et je le suivis aussi vite que possible avec le premier obusier que je pus débarquer. Je comptais arriver à temps pour briser la porte, mais au moment où j’arrivais sur le pont, en face de la porte, les tirailleurs, d’abord répandus dans les maisons qui bordaient le glacis, avaient dressé des échelles et montaient à l’assaut. Je demandais à Gallimard, capitaine du génie si on pouvait songer à enfoncer la porte, et il me répondit (ce que je reconnus bientôt) que la porte était appuyée par 6 m de terre. En ce moment, la garnison ou un corps venant à son secours se présenta vers notre droite. Il fut reçu par une fusillade assez vive de notre infanterie et de celle des Espagnols, et se dispersa. Un instant après les autres compagnies arrivaient et entraient dans la citadelle, par la seule porte laissée ouverte. Les derniers défenseurs n’avaient pas encore quitté le fort ; le trouvant coupé dans leur retraite ils sautèrent du parapet au-dehors, abandonnant leurs armes et même leurs vêtements.

Les troupes furent casernées dans les divers bâtiments et nos obusiers furent mis en batterie sur les remparts. Partout des mèches allumées, des gibernes, des caissons, des caisses remplies de poudre. Des magasins considérables logés dans des trous en terre mal couverts par des madriers, des bananiers et une couche de terre ; des torches et des fusées partout. Il fallait dans l’intérêt de notre propre sûreté, rassemblés dans les magasins toutes les poudres, détruire les fusées et chandelles romaines etc. ce travail d’emmagasinement fut plus poussé avec activité ; et nous ne tardâmes pas à reconnaître que de pareilles précautions étaient indispensables. Le surlendemain de la prise, à la tombée de la nuit, l’ennemi alluma au vent et près de la citadelle, un incendie terrible. Les flammèches, et brins de paille enflammés volaient au-dessus de nos têtes est tombé dans le fort. Une explosion eut lieu au bastion occupé par les Espagnols, et les hommes employés avec nous à arroser les abords et la toiture d’un magasin à poudre non voûté, (contenant 70 000 kilos) étaient médiocrement rassurés. Je les avais cependant prévenus que si la poudrière a sauté, ils n’auraient pas le temps de souffrir. Heureusement tout se passa bien. Mais nous eûmes plus d’une fois l’occasion de faire l’exercice de la pompe, et presque chaque nuit voyait un nouvel incendie autour de nous.

Le matériel fut détruit ou embarqué. Les magnifiques magasins de la marine, les cales, les navires en construction devinrent là proie des flammes. On s’occupa de préparer les fourneaux de mines pour faire sauter le fort après l’évacuation et ont mis en défense le fort en terre située sur la rive droite en avant de Saigon.

Je regrettais vivement l’abandon de la citadelle qui pouvait être entre nos mères un gage précieux en cas de traité. Nous y aurions d’ailleurs trouvé un casernement très convenable pour le corps d’occupation. Le commandant Despallières avait déjà proposé de garder l’ouvrage, et je renouvelais cette proposition [ ]. Mais l’amiral ne le voulait point, trouvant qu’il faudrait une garnison plus nombreuse qu’on ne pouvait la fournir alors.

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