26 Février 1946 - Le chaland que je convoie passe le seuil, non sans difficulté, dans la matinée et je quitte Phum Thmey à 15h00 ; faute de chaloupes en quantités suffisantes sur le tronçon Phum Thmey – Kratié, de nombreux chalands chargés de munitions et de vivres destinés au Laos restent en souffrance ici, sous la seule garde des bateliers cambodgiens ! – Passage devant Chlong, grosse localité aux maisons blanches à toits de tuile, à 16h30 – Le fleuve est coupé de nombreux bancs de sable, couverts de groupes denses de cormorans (normalement, le tronçon Kompong Cham – Kratié n’était ouvert à la circulation fluviale qu’à la période des hautes eaux, d’avril à octobre) – Cote plate ; paysage monotone de Kapokiers sous un soleil de plomb – A plusieurs reprises, les escarbilles incandescentes projetées par la cheminée de la chaloupe risquent d’incendier les denrées transportées dans les chalands que nous traînons péniblement – Un de ces chalands, en particulier, attire notre attention vigilante, parce que chargé de vieux vêtements d’époque 1900-1920, envoyés par l’ »Association Internationale d’aide aux populations éprouvés par la guerre » (entreprise américaine évidemment) aux populations laotiennes ! Cette association envoie également aux laotiens des caisses de boites de lait : c’est assez réjouissant, quand on songe que les laotiens n’ont même pas le courage de traire vaches et bufflesses et n’élèvent pas leurs enfants au lait ! – Accostage à Kratié, dans la nuit, à 21h00 -
27 Février 1946 - A la recherche d’un cantonnement ; le Cdt d’armes du lieu est pessimiste sur les possibilités de départ prochain par camions pour Paksé – Il voudrait diviser mon commando pour en envoyer la moitié, par voie fluviale, sur une petite chaloupe à fond plat – Vers 11h00, je trouve le capitaine Faucon (un vieil ami de Cao Bang... !!) récemment affecté au CL2, et nommé au commandement du commando 1 – Je dois retrouver au 4e commando, qui vient d’avoir récemment entre Paksé et Savannakhet quelques coups durs (une quinzaine de tués et de blessés) – Déambulations dans Kratié, chef lieu de province, d’importance bien moins inférieure à Kompong Cham, mais petite ville paisible, sans profondeur, bâtie le long du Mékong – Quelques maisons privées et habitations officielles bien coincées, au milieu de jardins, le long d’une promenade qui, bien entretenue serait fort agréable – Le nombre de français est restreint : 3 officiers qui encadrent une unité cambodgienne en cours de réorganisation, 1 médecin hors cadre et sa femme (manque de pot…), 1 ingénieur des travaux publics et un capitaine Cdt une compagnie du train assurant les transports sur Paksé – La aussi, toute l’administration est passé aux mains des cambodgiens qui ont supprimé toutes les pancartes écrites en français par d’autres en caractères Khmers – Cette hâte à supprimer tous les vestiges de l’organisation française est bien décevante – Installation au Bungalow – Déchargement de mon matériel ; le convoi fluvial transportant le matériel lourd du CL2, avec le S/Lt Benjamin, parti huit jours avant nous de Saigon est arrivé ici seulement hier –
28 Février 1946 - Passage du commandement du commando au capitaine Faucon - Promenades et bains avec Villatte, Lamiot et Bernard –
1er Mars 1946 - Départ de la 1ere moitié du commando – Séjour paisible à Kratié – Inspection de la prison…
2 Mars 1946 - Départ pour Stung Treng à 7h00, avec un convoi d’une dizaine de camions – Paysage monotone et triste de forêt clairière dépouillée sur un ciel pur très bleu – Pas un animal, pas un village, pas un humain sur les 170 Km qui séparent Kratié de Stung Treng ou nous arrivons à 12h30 – Toute petite ville, d’aspect riant et fleuri, bâtie au confluent du Mékong et de la Srepok – Joli bungalow – Le Margouillat – Passage du bac sur la Srepok - Départ mouvementé à 18h, après un passage du fleuve épique en pirogue laotienne – Nouveaux paysages de forêt clairière illuminée par des dizaines de feu de brousse rougeoyants – Arrêt à Khong (Laos) à 21h – Réception très cordiale par les laotiens du village –
3 Mars 1946 - Etape Khong – Paksé dans la matinée ; en fin de parcours, le terrain devient plus mouvementé, Quelques collines couvertes de grandes forêts – Chaleur sèche – Poussière rouge intense – Installation du commando au camp des chasseurs laotiens à 1 Km de Paksé – Joli coup d’œil sur la rive ouest du Mékong, dominée par de grandes montagnes à 1200 m, « Siamoise » depuis 1940 – Baignade dans la Sédone – Pirogue… Tour à Paksé dans l’après midi, ville agréable, aérée, largement conçue mais malheureusement inachevée, au confluent de la Sédone et du Mékong – Je revois à l’hôpital Weuhsel et Germain, blessés récemment près de Tchépone – Dîner à la popote des officiers de la garnison (P.C des forces du Laos : Colonel de Crèvecoeur – P.C du 5e R.I.C : Cdt Gobillot – Base arrière du CL2 : capitaine Arnoux – 1 escadron d’A.M du 5e cuirassiers…)