16 Décembre 1945 - Nous sommes devant le Cap Saint Jacques à 7h00 : à la même heure et par le même beau temps qu’il y a 4 ans et ½ – Le paysage n’a pas changé à part les mâts de cargos japonais qui émergent tout le long de la côte – Depins, qui a passé 1 ou 2 ans au cap comme mitrailleur de D.C.A, fait le guide – Le cuirassé « Richelieu monte tranquillement la garde et nous salue au passage - 1ière surprise : la vedette du pilote est montée par un équipage japonais : casquette de toile et tenue short très correcte - Remontée de la rivière en fin de matinée et durant l’après midi – Rien de l’animation joyeuse de 1941 : pas un sampan annamite – Quelques embarcations chinoises arborant ostensiblement leurs pavillon national – Aux abords de Saigon, de très nombreux japonais en liberté sur les rives et dans les bateaux ; quelques uns sont armés ; un drapeau à l’effigie du soleil levant flotte même sur un de leurs poste de police – Nous sommes à quai à16h00 – Je suis de service à la coupée - Échange de paroles aigres douces avec des « fictifs » de la DGER, qui pour une fois regrettent de porter des galons ; considérés comme militaires, ils ne sont pas autorisés à descendre à terre - Sortie en bande à 20h dans Saigon complètement mort – Il est interdit de s’éloigner du centre ville, des attaques d’isolés ayant lieu chaque nuit – Très peu d’annamites – Nombreux chinois – Beaucoup de militaires européens, dans les tenues les plus variées, tous armés jusqu’au dents – Les rues sont très sales ; les parterres, abandonnés depuis 6 mois, ont un aspect désolant – Tout est fermé à 19h - Premiers tuyaux sur les opérations : les centres de Cochinchine sont à peu près tous tenus : My Tho, Can Tho, SocTrang, ... jusqu’à Ban Me Thuot, mais les voies de communications sont des moins sûres – Nous tenons des postes à quelques Km de Saigon seulement – Bien qu’il n’y ait pas d’opérations d’envergure, les pertes sont sérieuses, surtout les gradés, par assassinats, embuscades, attaques de convois —
17 Décembre 1945 - Débarquement à 6h00 – Nous nous apprêtons à aller cantonner paisiblement dans Saigon quand à 10h, un contre-ordre désigne mon Commando pour aller effectuer immédiatement une relève : nos mortiers et une bonne partie des munitions est encore en cale ! - Embarqués en camions, nous relevons à 4 Km N.E de Saigon (près de Phu My) une compagnie du 11e RIC qui part en opérations pour 48h - Ma section tient un point d’appui à Ban [ ], sur un pont qui franchit le canal de jonction qui sert actuellement de limite à la zone pacifiée – De nombreux cadavres, généralement mutilés, ramenés périodiquement par la marée, dérivent au fil de l’eau - 18 Décembre 1945 - À partir de 4h du matin, vaste opération de nettoyage dans la zone située à 2 Km sur notre droite, où sont signalés 3000 rebelles - Participation du croiseur « Emile Bertin », de l’aviso « Somali » et d’avions anglais – Vastes incendies : je suis fort bien l’action du haut d’un château d’eau voisin –
19 Décembre 1945 - Patrouilles jour et nuit – Tirs sur des sampans de rebelles qui cherchent à traverser la rivière – Le secteur, parait-il, n’est pas particulièrement calme, car nous sommes à la limite des secteurs français et britanniques : par suites des accords avec nos alliés, nous n’avons pas le droit de pénétrer dans leur secteur – Comme ils se contentent d’y tenir un certain nombre de postes, sans pacifier plus avant leur zone, tous les rebelles que nous chassons y trouvent refuge - Vu le Moguem et Bidault, faits prisonniers en mai dernier à Saigon et réarmés avec le 11e RIC -
20 Décembre 1945 - Descente à Saigon pour récupérer le matériel qui nous est nécessaire – Tout est en vrac au petit séminaire où nos cantines sont stockées « sans aucune garantie » : le dévouement de ceux de l’arrière fait plaisir à voir ! - Les magasins, rue Catinat et Boulevard Charner, rouvrent timidement – Rencontré le Capitaine De Naurois qui arbore des insignes parachutistes variés, mais qui ici depuis 2 mois, n’a pas mis les pieds en dehors de la ville ! -
21 Décembre 1945 - Retour à l’aube à Phu My – Là, changement de destination : le Commando léger va tenir des positions sur le Rach Cho Moi, à une douzaine de Km au N.O de Saigon – Le Commando avec ses 65 hommes, relève 2 compagnies du 23e RIC à Ba Queo (De Cassagnac) ; Kuong-Chieu (Capitaine Deschaintres) ; Cho Moi (moi même) Installation dans une huilerie – Patrouille fructueuse dans l’après midi -
22 Décembre 1945 - Travaux de défense autour de mon usine – Emploi de corvéables recrutés sur la route parmi les chinois et annamites n’ayant pas payé leurs impôts de 1944 – 45 et Dieu sait s’il y en a – J’ai l’impression que sous ce rapport il y avait en Cochinchine une jolie pagaille. Deux chinois sur cinq en moyenne ne sont pas en règle.