13 Septembre 1945 - Je suis rattaché au dépôt de transition de Chandernagor commandé par le Capitaine Murgier – Notre activité, en attendant les affectations définitives à titre du Corps Expéditionnaire semble devoir se borner à quelques services peu astreignants, ce qui n’est pas pour nous déplaire - Le territoire français borde un des bras du Gange, l’Hoogly, sur 5 miles environ – Il a seulement, en moyenne, 1 mile de large : la gare de Chandernagor est en territoire anglais – Le quartier français, avec ses bâtiments officiels largement favorisés borde la rivière sur 300m environ – L’ensemble, net et propre, a bonne allure - Les immeubles administratifs : Résidence – Poste – École supérieure – Gendarmerie sont bâtis au milieu de jardins bien soignés – La promenade qui les sépare de l’Hoogly rappelle, en moins grandiose évidemment, celle des Anglais à Nice – C’est là qu’on rencontre à partir de 18h00, cherchant un peu de fraîcheur, le tout Chandernagor français - Le reste de la concession française est purement indigène, donc d’une saleté repoussante - De nombreuses maisons en torchis ou en briques ont les murs couverts de bouses de vache où l’on distingue bien l’empreinte de la main qui les a appliquées – Dès qu’on s’éloigne du centre, l’impression générale est triste : Chandernagor a du être une petite ville florissante au XVIIIe siècle qui est tombée lentement en décadence, étouffée par Calcutta – Les vestiges de sa splendeur passée subsiste dans les nombreux bâtiments du 18e siècle, en briques rouges, maintenant en ruine et abandonnés – De très nombreux étangs : plus de 1000 dans le territoire français - L’indigène est sympathique, plus souriant semble t-il, qu’en territoire anglais – Il est vrai que le prestige de l’uniforme français, pratiquement ignoré jusqu’à ces derniers mois, est intact – En temps normal, Chandernagor ne compte que 2 français : l’administrateur et le gendarme – Actuellement il y a pléthore de galons appartenant tant aux militaires du Corps Expéditionnaire [ ] certains services administratifs qu’aux personnel des services civils administratifs « assimilé » ( les Anglais refusant de recevoir aux Indes des français non militaires – d’où des abus assez réjouissants, témoin ce fonctionnaire qui me confie un jour naïvement : « Oui, les galons de Lieutenant colonel sont très demandés ! ») - Comme partout aux Indes, la ville est morte pendant les heures chaudes et ne s’éveille qu’à 18 heures, au coucher du soleil ; les artisans se mettent au travail – Circulation intensive de charrettes à bœufs bossus - Multitude d’ânes et de chèvres et surtout le fleuve s’anime : c’est la sortie des sampans pécheurs qui sillonnent en tous sens la rivière de leurs voiles bleues ou rouilles – L’activité est intense jusqu’à 10 h du soir, heure à laquelle ferment les magasins - Le français est relativement peu parlé ; quelques commerçants d’une quarantaine d’années le comprennent encore, mais il a subi un déclin très net du jour où les lois d’expulsion du début du siècle ont amené la fermeture du collège de Jésuites – Actuellement on n’apprend que l’anglais à l’école – C’est avec l’hindustani la seule langue usuelle - Je suis logé, avec les autres officiers Cap. Delagarde, S/Lt Py, Guerpillon, Ferdinand, Pascal... dans une vaste maison dont le jardin donne directement sur la rivière – Le mobilier, tout au moins, dans les débuts, est sommaire ; le manque de ventilateurs se fait cruellement sentir – la domesticité par contre est très nombreuses : nous disposons chacun de notre boy – Le mess est fort agréable et très moderne ; nous dînons chaque soir sur une terrasse qui domine la promenade, avec vue sur la rivière – Foisonnements de rats palmistes agiles et familiers, et de margouillats -
15 septembre 1945 - Je suis affecté comme Commandant du Quartier Général de l’amiral Thierry d’Argenlieu, haut commissaire de France pour l’Indochine, en attendant l’arrivée du titulaire de l’emploi non encore arrivé de France – J’accueille cette désignation sans satisfaction aucune ; mon seul espoir est de ne pas rester trop longtemps dans cet emploi - Car si j’ai demandé à être « récupéré », c’est avec l’intention de retourner en Indochine faire du travail utile – L’état Major du Haut Commissaire débarque abondamment depuis 48 heures : près de 150 personnes au total, dont 1/3 de femmes -