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Carnet de campagne de Cochinchine de Jean François Lacour (Carnet 1)

Expédition de l’Indo-Chine 1857 - 1858 - 1859

dimanche 12 avril 2009

J.F. Lacour Campagne de Cochin-chine 1er carnet qui relate son long périple en bateau pour rejoindre Saigon

Après quelques tours on reconnait que la machine ne peut continuer à marcher et on laisse éteindre les feux. La nouvelle tentative aussi peu heureuse que la précédente. Un chauffeur est légèrement brûlé par une fuite de vapeur. Nous marchons avec une brise molle et debout ; enfin. La machine réparée est de nouveau mise en mouvement et marche cette fois sans encombre pendant une journée.

Nous venons grâce à l’hélice d’atteindre les vents alizés de l’hémisphère sud. Ces vents doivent nous conduire jusqu’à la hauteur de Rio. Nous avons passé la ligne le 24 à 9 heures du matin, comme les matelots ne veulent pas sacrifier leur dimanche, la fête est remise à demain.

Depuis que nous sommes dans les tropiques, la chaleur est devenue insupportable dans notre carré, surtout à l’heure des repas. On prend alors un véritable bain de vapeur et parfois les nuits elles-mêmes sont tellement chaudes et privées d’air dans les cabines qu’on recule devant l’obligation de se mettre au lit et certes, s’il était possible de s’installer un peu commodément sur la dunette ou sur le pont, bon nombre d’entre nous y passerait la nuit. Mais il n’y faut pas songer, car nos soldats ont bien juste l’espace nécessaire et nous nous faisons un scrupule de venir encore le diminuer.

Les jours se passent sans que rien vienne distraire la monotonie du voyage. Toujours beau temps, des vents plus ou moins favorables, moins modérés ; nous approchons du Cap à petites journées et nous commençons à trouver le temps long. Nos cages à poules sont vides et notre dernier mouton dépérit solitaire dans son parc en attendant son dernier jour. Les albatros commencent à se montrer, mais les bandes dont j’ai tant entendu parler n’apparaissent pas et on espère qu’elles ne se rencontreront qu’à une moindre distance du Cap. Le 23, par un calme parfait on aperçoit des requins magnifiques et on se hâte d’installer des lignes pour les pêcher. Les requins dévorent plusieurs kilogrammes de lard et nous souhaitent le bonsoir lorsqu’ils ont assez déjeuné, en somme on n’en prend aucun. Le 24 la brise se fait et prend du S.O. Vers le soir la voilure, successivement réduite, ne se [ ] plus que de la misaine avec un ris et des huniers au bas ris et amenés.

Dans la nuit et jusqu’à 3 heures du matin le vent force encore et nous filons 10 à 12 nœuds presque à sec de toiles. Je m’étais levé pour voir quel était le temps ; et, peu satisfait de ce que j’avais vu, je m’étais recouché à 3h du matin assez ennuyé de ce contretemps qui pouvait retarder notre arrivée au Cap ; mais je fus agréablement surpris quand on m’éveilla à 8 heures du matin en m’annonçant qu’il faisait le plus beau temps du monde et que nous étions en vue de terre. Je me hâtai de monter sur le pont et je vis en effet dans la brume, les contours durs et brisés de la côte d’Afrique. Nous avions accosté la terre au sud du Cap, nous fumes obligés de remonter vers le nord avec faible brise. On alluma les feux et vers trois heures de l’après midi nous étions mouillés en rade de la ville du Cap le 25 février.

La ville vue de la mer, n’offre rien de bien saillant à la distance où nous sommes mouillés. Comme je suis de garde à bord le 26, j’utilise ma journée à faire un croquis de la ville.

Le 28 au soir je suis descendu en ville. On attendait le retour du gouverneur et l’arrivée de la Gironde avait produit une certaine impression. La milice avait pris les armes et s’était retirée dans ses pénates en apprenant que le navire qui venait d’entrer en rade était tout simplement français.

À cinq heures du soir le navire portant le gouverneur était signalé et la milice arrivait occuper le débarcadère au moment où nous y mettions le pied. Le chef de la milice nous pria poliment de passer devant la troupe, nous continuâmes modestement à passer par derrière. Peu après le gouverneur débarque, une batterie de campagne (2 canons de 6) exécute une salve avec un aplomb et une régularité toute militaire. Le fort qui défend la droite de la ville salve également. Le gouverneur monte dans une bonne calèche à 2 chevaux et s’achemine vers son hôtel par la musique de la milice et escorté par le détachement de cavaliers et de fantassins dont j’admire la bonne tenue et l’uniformité. Certes nous n’avons rien en France à comparer aux miliciens du Cap. La cavalerie et l’artillerie sont fort bien, mais l’infanterie m’a semblé mieux encore. Inutile de dire que le premier établissement que nous cherchons est un café. Nous trouvons non sans peine une taverne assez propres et nous avalons quelques bouteilles [ ] exaltante et qui n’ont qu’un défaut, c’est de coûter environ 36 sous de notre monnaie.


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